Dernier jour 12h16

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All Headline News, Los Angeles, aujourd'hui, 12h13. La Virtual Stars Company annonce la mise en service d'une variation de 214 nouvelles jeunes femmes et hommes de toute taille et de tous types raciaux qui sera déployée dès le printemps dans les séries interactives et les mondes virtuels haut de gamme. Une blonde en particulier attire l'attention de tous : Marilyn, clone virtualisé de la star des années soixante, sera disponible en trente-quatre versions, dont dix-sept transsexuelles ( ! ). VSC annonce que les variantes pour le porno sado-maso ultraréaliste ont été spécialement étudiées et devraient assurer pas loin des deux tiers des revenus de la compagnie au cours de l'année à venir. VSC déclare en effet avoir mis en œuvre plusieurs nouvelles technologies brevetées pour rendre les blessures sanguinolentes plus réalistes. Le fabricant prétend posséder dans ce domaine une confortable avance sur la concurrence. Des déclinaisons en androïdes, fruits du partenariat de VSC avec Droïds Incorporated, sont attendues un peu avant Noël et devraient faire fureur... dans les états où leur vente est légale !

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— Michael ? fit vivement Rita.

— Oui ?

— La police de Santa-Maria est en train de mettre sur pied une opération qui converge par ici, il y a six voitures, huit hommes. Confirmation : leur objectif est dans cette rue, la position est la nôtre à deux mètres près.

Michael regarda Ada. Il haussa les sourcils. Il ouvrit la porte du souterrain qui donnait sur la rue mais fit signe à Ada de bien rester dans l'ombre. Il pleuvait faiblement. Michael se retourna et avec une grimace sombre et décidée il dit :

— Vas-y Rita, sort leur ton grand numéro.

— Connexion sur les réseaux locaux. Opérateur... tombé ! Visiblement, ils ne savent pas configurer correctement leur générateur de mots de passe. Qu'est-ce que je fais ?

— Tu ne coupes rien, tu prends le contrôle, et tu t'installes de façon à pouvoir revenir quand tu le voudras. Ah ! Et tu neutralises le walkman d'Ada, juste une précaution.

Au poignet d'Ada, le lecteur émit un tintement plaintif. Celle-ci écarquilla les yeux de stupéfaction et Michael lui répondit par un hochement de tête satisfait.

— Et maintenant, que fais-tu ? demanda-t-il à Rita.

— Serveur de la police. Recherche d'un point d'entrée. Bien ! J'ai cassé la session de l'agent Fergusson. C'était la plus active.

— Et alors, demanda Ada ?

— L'agent Ferguson va vouloir se reconnecter, expliqua Michael.

— Interception du message de demande de connexion sécurisée, fit Rita. Hum... je cherche une faille. C'est bon, le compte invité était facile à casser. Tiens, leur algorithme de répartition aléatoire des partitions en mémoire n'est pas à jour... C'est bon, j'ai accroché une série, ce n'est plus qu'une question de temps. En parallèle, je m'installe sur les serveurs de l'opérateur que j'ai conquis et je relance des attaques sur les nœuds suivants.

— Et la police ?

— Mon nom est Fergusson, Gerhart Fergusson, répondit Rita. Acquisition de privilège. Machine tombée. Un coup de chance. Hum. Ils ont sérieusement relevé le niveau de sécurité du réseau interne depuis ce matin. Dommage. Je cherche. Ils ont bricolé des trucs. Attaque des mots de passe racines. C'est drôle, personne ne surveille ou quoi ? Ah, si ! Aïe ! Contre-attaque. Raté. Je les ai pris de vitesse. Ah ah ! J'ai localisé mes adversaires, elles sont trois... Non ! Elles sont cinq. Elles jouent à cache-cache et attaquent à revers. Bien joué ! Non, elles sont huit ! Ça chauffe dur, je m'accroche ! Schwartz, elles tentent une isolation du routage ! Ouf, évité de justesse. Oh ! Les méchantes, elles se sont mises à reconfigurer les pare-feu internes à grande vitesse. Woa ! C'est la guerre ! Hum, comment communiquent-elles ? Ah ! J'ai trouvé ! J'attaque ! Cool ! Elles s'emmêlent les crayons ! C'est bon, je suis dans la place !

— On se calme, fit Michael les yeux fermés, concentré. Arrête là pour l'instant et consolide. Regarde du côté de la voirie.

— C'est parti. Oh ! Les vilains, ils n'ont pas mis à jour leur système d'exploitation ! Ça, c'est pas prudent. Bang. Serveur tombé. À moi les feux de signalisation.

Ada observa autour d'eux. La pluie continuait à tomber. Le vent soufflait toujours aussi fort et couchait la bruine en vagues irrégulières sur l'asphalte devant la porte ouverte. Elle vit que dans le carrefour au bout de la rue, les feux de signalisations étaient rouges, mais, de l'angle où ils étaient, on voyait distinctement qu'ils étaient rouges dans les deux directions orthogonales en même temps. Elle tapa sur l'épaule de Michael qui regarda dans la direction qu'elle lui indiquait du doigt. Déjà, deux véhicules s'étaient arrêtés et on distinguait les conducteurs éberlués qui regardaient de tous côtés. L'un d'eux fit un signe d'exaspération et franchit l'intersection au pas. Il y eut un flash et une alarme sonna. Au loin, une autre alarme mugit, puis encore une autre. Il sembla bientôt que de proche en proche, les alarmes de tous les carrefours de la ville se déclenchaient à tour de rôle. Ada regarda Michael, il riait comme un gosse. Soudain, par-dessus le vacarme intermittent des alarmes de trafic, une saute de vent leur fit entendre des sirènes caractéristiques.

— Rita, où en es-tu avec la police ? demanda nerveusement Michael

— Je cherche. C'est nettement moins facile que ce matin, ils ont appris la leçon. Les serveurs sont tous déguisés, je tâtonne, je patauge. Désolé. Ils ont déployé des pare-feu partout et aussi de nombreux pots de miel.

Ada demanda à Michael avec une grimace :

— C'est quoi un pot de miel ?

— Un piège, un serveur bidon, un attrape-nigaud.

Rita reprit :

— J'ai pris le contrôle de toute la bande passante résiduelle du réseau public de la subdivision. J'ai transformé deux centres de groupage en bastions de défense. J'ai installé des IA secondaires sur les serveurs que j'ai pris. Elles sont en train de s'étendre tous azimuts, mais à part cela, elles ont pour instruction de rester discrètes pour l'instant. Je rencontre assez peu de résistance, j'ai détecté quelques entités militaires ici et là, je ne m'en approche pas, je ne crois pas avoir été repérée.

— Rita, il faut que tu trouves quelque chose pour arrêter ces voitures de police, ou alors elles seront là dans deux minutes et ce sera terminé.

— J'y travaille.

— Tu vas leur faire quoi ? demanda nerveusement Ada. Tu ne peux quand même pas leur crever les pneus à distance ?

Michael ouvrit la bouche pour répondre, mais Rita le prit de vitesse.

— J'ai trouvé ! Interface de maintenance à distance des véhicules. Faille de sécurité ! Crac ! Je cherche ceux qui arrivent par ici. Hum... Bingo ! Défaillance de l'injection. Réinscription du programme de chargement. C'est fini pour eux : un retour en usine s'impose !

Au loin, les sirènes se turent comme un accordéon tombé au sol qui se vide.

— Schwartz, bien joué Rita ! fit Michael, un large sourire éclairait son visage, tandis qu'Ada le regardait avec une intense expression de stupéfaction.

Rita dit :

— Michael, une de mes têtes de pont vient de découvrir un appel anonyme troublant dans les archives des communications de la police. Nous avons été dénoncés par quelqu'un qui savait exactement où nous étions et qui vous étiez. Michael se redressa. Il regarda Ada avec des yeux où elle lut la peur. Il s'approcha avec circonspection de la porte qui donnait au souterrain. Ada vit qu'il déroulait un flexible et l'utilisait pour jeter prudemment un coup d'œil dans le noir. Michael cligna des yeux et blêmit. Il revint vers Ada et lui chuchota à l'oreille :

— Rita détecte une activité suspecte dans le tunnel, probablement un microdrone en vol stationnaire. Il nous a sûrement suivis à la trace depuis l'autre côté. Le gars qui l'a lancé ne doit pas être loin !

Ils se regardèrent. Ada vit que Michael tremblait. Il se tourna vers l'IA et dit vivement :

— Rita, il faut qu'on sorte d'ici ! Maintenant ! Neutralise-moi ces caméras dans la rue !

— J'y travaille, Michael, j'y travaille.

Le garçon secoua la tête, il regarda la porte sombre qui donnait au souterrain.

— Est-ce qu'il y a la moindre chance que tu y arrives en moins d'une minute ?

— Probabilité très faible. Je vous recommande de ne pas la jouer.

— OK Rita, on va tenter de gagner du temps. Tu vas leur faire un appel anonyme à ton tour, et leur dire qu'on est ailleurs, pas trop loin pour que ça soit plausible.

— OK, je tente ça.

Ils attendirent quelques secondes. Rita reprit :

« Raté. Je n'ai pas pu tricher comme il aurait fallu sur la localisation de l'appel. Ils n'ont pas mordu. Au contraire, ils ont clairement deviné que c'était une manœuvre défensive.

— Schwartz, fit rageusement Michael !

— Je suis désolée Michael.

— Est-ce que tu sais au moins où elles sont, ces putains de caméra ?

Michael cligna des yeux. Ada vit dans son regard qu'il analysait les informations que Rita lui transmettait. D'un coup, il glissa Rita dans le sac en plastique et, se redressant fougueusement, il prit Ada par la main et l'entraîna sous la pluie. Ils partirent en courant à toute vitesse vers un passage entre deux immeubles un peu plus loin de l'autre côté la rue. Au moment où ils y pénétraient, Rita émit depuis le fond du sac un bip strident et dit très exactement assez fort pour se faire entendre :

— La police vous a repérés !

Michael les fit s'arrêter à la hauteur d'un renfoncement dans le mur qu'ils longeaient et ils s'y plaquèrent.

— Rita, il faut que tu neutralises ces caméras !

— Je crois que j'y suis presque.

— En attendant, qu'est-ce que tu recommandes ?

— Ne bougez pas. Ici, vous êtes invisibles. Il me semble que nous avons quelques minutes d'avance sur cette menace dans le souterrain et la police maintenant qu'ils sont à pied. Par contre, ils convergent vers cette allée, car ils savent que nous y sommes. Michael regarda Ada. Elle était trempée, essoufflée, des boucles bleues s'étaient échappées de son bandana et collaient à ses joues et dans son cou. Quand elle inspirait, de la dentelle blanche venait transparaître sur sa poitrine. La pluie avait rendu transparent son mini short. Elle lui retourna son regard vert, lumineux dans son expression sombre. Il chercha ses mots pour lui dire ce qu'il ressentait, combien il était heureux qu'elle soit avec lui, même si la situation présentait tous les signes d'être en passe de devenir désespérée. Il chercha le nom de ce couple devenu célèbre en perdant la vie sous les balles, mais il se rendit compte que ce n'était pas du tout une vision de leur futur qu'il voulait considérer. Il fut sorti de ses pensées par Rita.

— Je prends le contrôle du Poste de Commande pour la vidéo de Santa-Maria Ouest. OK. Caméras neutralisées.

— Tu les as coupées ? demanda Michael.

— Non, je suis parvenue à faire bien mieux que cela. J'ai mes entrées sur l'interface du commutateur de flux de celles qui sont dans le secteur, donc je peux nous faire disparaître. Je peux aussi voir tout ce qui se passe.

— Où est la personne qui nous suivait dans le souterrain ?

— Elle n'est pas en vue.

— Et la police ?

— Ils convergent par ici. Ils marchent à pas modéré, la chaleur et la pluie jouent en notre faveur. Par contre, ils se sont dispersés de façon très efficace. Nous sommes effectivement encerclés, quoique leur nombre ne leur permette pas de couvrir tous les axes. Ils ont demandé du renfort, mais le quartier général leur a répondu que ce n'était pas possible. Leur commandement est inquiet, et garde des forces en réserve. Cela semble avoir une relation avec les indices de risque d'attentat terroriste qui sont montés à leurs niveaux les plus élevés. J'infère de certaines conversations que c'est en relation avec une activité sur l'astroport, spécifiquement aujourd'hui. Il est probable qu'il s'agisse du dernier vol de navette à destination d'Exodus. D'après la police, le très grave attentat de ce matin au Hilton y était aussi lié, car parmi les victimes se trouvent des membres du NC. Cette information est confidentielle, mais les policiers en parlent beaucoup entre eux.

— Est-ce qu'ils savent que tu as le contrôle de leurs caméras ?

— Ils peuvent le craindre, mais ils n'en ont aucune indication. Au contraire, le fait qu'ils nous aient aperçus tout à l'heure doit certainement les rassurer.

— Bien ! Tu vas nous faire sortir du quartier en jouant à cache-cache.

— Vers où voulez-vous aller ?

— Choisis le chemin qui maximise la probabilité de succès.

— L'idéal est de rebrousser chemin.

— Non, répondit impétueusement Michael, on ne retournera pas là-bas avec le risque de voir surgir un type qui se balade avec des microdrones de reconnaissance, Schwartz sait ce qu'il a d'autre dans sa panoplie !

— Alors, descendez cette allée, à mon signal tournez à droite au bout, puis immédiatement à gauche, attendez à nouveau mon signal, descendez la rue et, ensuite, avant l'intersection suivante, tentez de vous cacher dans la première allée à gauche, la caméra qui la couvre est en panne. Il faudra attendre pour déterminer où les policiers vont passer. Je vous ferais passer à côté, si c'est possible.

— Et si ce n'est pas possible, intervint Ada ?

— On avisera, fit Michael.